Quand
la loi Climat met des millions de Français au pied du mur
Le
compte à rebours est lancé
À
partir du 1er janvier 2026, toutes les copropriétés devront avoir réalisé un
Diagnostic de Performance Énergétique collectif (DPE collectif) ainsi qu’un
Plan Pluriannuel de Travaux (PPT). Derrière cette obligation issue de la loi
Climat et Résilience se cache une véritable révolution pour l’immobilier
français. Ce n’est pas seulement une formalité administrative : c’est une
contrainte qui oblige à engager des dépenses considérables, parfois
insoutenables pour les copropriétaires.
Un
parc immobilier massivement concerné
La
France compte environ 628 000 copropriétés, soit près de 10 millions de
logements. Plus de 70 % d’entre elles ont été construites avant 1975, à une
époque où les normes thermiques n’existaient pas. Autrement dit, la majorité de
ces immeubles est énergivore et nécessitera des travaux coûteux pour répondre
aux nouvelles exigences. Les petites copropriétés rurales ou de villes
moyennes, souvent peu structurées, apparaissent comme les plus vulnérables.
Le
coût d’un diagnostic qui n’est que le début
La
réalisation d’un DPE collectif ou d’un Diagnostic Technique Global représente
déjà un premier investissement, entre 3 000 et 10 000 € pour une petite
copropriété. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Le diagnostic
débouche sur un Plan Pluriannuel de Travaux, et c’est là que la réalité
financière frappe de plein fouet.
Des
travaux évalués à des dizaines de milliers d’euros par logement
Le
PPT projette les travaux nécessaires sur dix ans pour atteindre un meilleur
niveau énergétique. Dans les immeubles classés E, F ou G, le coût moyen varie
de 20 000 à 60 000 € par logement. Dans l’Eure, une copropriété de douze
appartements des années 1960 s’est ainsi vue proposer un plan de rénovation
chiffré à 350 000 €, soit près de 30 000 € par copropriétaire. Pour beaucoup,
la marche est insurmontable.
Le
risque social d’un mur financier
Une
étude de l’ANIL révèle que plus d’un tiers des copropriétaires en France se
trouvent déjà en situation de fragilité financière. Pour eux, le reste à
charge, même après subventions, reste colossal. MaPrimeRénov’ Copropriétés
permet de couvrir une partie des travaux, mais elle ne supprime pas la charge
de plusieurs dizaines de milliers d’euros qui repose sur chaque foyer. Dans
certaines copropriétés, les appels de fonds risquent tout simplement de
doubler, voire de tripler, entraînant des impayés en cascade.
Une
menace directe sur le marché immobilier
Les
conséquences de cette réforme vont bien au-delà du seul sujet énergétique.
Déjà, les appartements classés F ou G se vendent 20 à 30 % moins cher que les
biens mieux notés, selon les Notaires de France. À mesure que les interdictions
de location se rapprochent – 2025 pour les logements G, 2028 pour les F et 2034
pour les E –, de nombreux logements risquent de devenir invendables. Le
patrimoine de millions de ménages modestes est en danger.
Une
filière professionnelle débordée
Autre
difficulté : le manque d’experts qualifiés. La France compte environ 8 000
diagnostiqueurs certifiés, mais à peine 2 000 réellement formés pour conduire
des DTG et élaborer des PPT. Diagnostiquer et planifier les travaux de 600 000
copropriétés en un délai si court relève de la mission impossible. Ce
déséquilibre risque de provoquer un goulot d’étranglement, une inflation des
tarifs et des retards généralisés.
Vers
une explosion des contentieux
Les
retards ne seront pas sans conséquence. Des ventes pourraient être bloquées
faute de DPE collectif, des copropriétaires pourraient attaquer leurs syndics
pour manquement à leurs obligations, et certains syndics se retourneront
eux-mêmes contre les diagnostiqueurs. Ce cocktail explosif annonce un
contentieux massif comparable à celui qu’a provoqué l’amiante il y a vingt ans.
Des
petites copropriétés en première ligne
Si
les grandes résidences urbaines ont souvent des moyens financiers et des
conseils syndicaux solides, ce n’est pas le cas des petites copropriétés. Dans
les villages ou les petites villes, beaucoup sont gérées bénévolement, avec un
fonds de travaux quasi inexistant. Leur imposer des plans de rénovation
ambitieux revient à les mettre face à une impasse économique et à les condamner
à l’inertie.
Une
bombe politique en puissance
Derrière
la dimension technique, l’équation devient éminemment politique. Comment
convaincre des retraités vivant avec 1 500 € par mois de financer 30 000 € de
travaux ? Comment demander à des ménages ruraux d’investir la moitié de la
valeur de leur logement pour le rénover ? Cette réforme pourrait bien provoquer
une fracture sociale entre ceux qui pourront suivre et ceux qui seront laissés
de côté.
Des
aides insuffisantes et mal calibrées
Si
MaPrimeRénov’ a permis de lancer des rénovations ponctuelles, elle ne répond
pas à l’ampleur du défi collectif. Les plafonds sont trop bas, les conditions
trop restrictives, et le reste à charge demeure insupportable pour la majorité.
Quant aux banques, elles restent frileuses à financer des copropriétés
fragiles, accentuant le risque de blocage. Sans plan massif d’aide publique,
l’objectif affiché de verdir le parc immobilier semble hors de portée.
Un
calendrier irréaliste
Le
cap fixé à 2026 apparaît déjà irréaliste. Les experts du secteur estiment qu’il
faudrait au moins cinq à sept ans de plus pour diagnostiquer et planifier
correctement l’ensemble des copropriétés. Maintenir l’échéance actuelle, c’est
courir droit vers un échec collectif, avec son lot de sanctions, de blocages et
de drames humains.
Une
crise immobilière annoncée
Si
rien ne change, le marché immobilier français risque de connaître une crise
sans précédent. Des millions de logements pourraient perdre une grande partie
de leur valeur, certaines copropriétés entreront en difficulté financière
chronique, et les tribunaux seront submergés par les litiges. Le choc pourrait
même atteindre les banques, confrontées à des biens hypothéqués devenus
invendables.
Le
rôle crucial des experts de terrain
Dans
ce chaos annoncé, la voix des experts indépendants – diagnostiqueurs,
thermiciens, ingénieurs – devient essentielle. Ce sont eux qui, au plus près du
terrain, constatent la réalité des immeubles et mesurent l’ampleur du problème.
Leur rôle n’est pas seulement d’appliquer la loi, mais aussi d’alerter sur son
impossibilité pratique et d’imaginer des solutions réalistes. Sans eux, la
réforme risque de rester déconnectée de la réalité.
Une
bombe à retardement
La
rénovation énergétique des copropriétés ne peut plus être abordée comme une
simple exigence administrative. C’est une question sociale, économique et
patrimoniale majeure. Derrière les promesses écologiques, la loi Climat a
déclenché un mécanisme qui pourrait fragiliser durablement des millions de
Français. À moins d’un ajustement du calendrier et d’un soutien massif,
l’échéance de 2026 restera dans l’histoire comme le déclencheur d’une crise
immobilière sans précédent.